« On est face à une urgence sanitaire » : le film qui dénonce l’omerta autour d’une épidémie de cancers chez les jeunes enfants

« On est face à une urgence sanitaire » : le film qui dénonce l’omerta autour d’une épidémie de cancers chez les jeunes enfants

Vice-président de Médecins du Monde, le Toulousain Jean-François Corty a co-réalisé avec Valéry Gaillard le documentaire « Contrepoisons, un combat citoyen » , sur le combat de parents autour d’un cluster de cancers de jeunes enfants qui sera diffusé sur France 3.

Votre documentaire se penche sur une « épidémie » de cancer pédiatrique dans la région nantaise, peut-on parler de scandale sanitaire ?

Entre 2015 et 2020, sur la commune de Sainte-Pazanne et ses environs, près de Nantes, 25 enfants ont eu un cancer, 7 en sont morts. Il existe en France plusieurs clusters de ce type à Saint-Rogatien près de la Rochelle, dans le Haut-Jura, dans l’Eure entre autres. On estime à 2 500 le nombre de nouveaux cas et 500 décès par an à l’échelle nationale. Par ailleurs, des statistiques de la Caisse nationale d’Assurance-maladie ont révélé une augmentation de 18 % des cas entre 2003 et 2019, et ces chiffres sont probablement sous-estimés du fait de biais méthodologiques de recensement. De fait, l’incidence de l’épidémie progresse à bas bruit en France, sans que l’on sache vraiment pourquoi, en lien avec l’exposition chronique et le cumul de toxiques environnementaux, type perturbateurs endocriniens, hydrocarbures, pesticides, ondes électromagnétiques, radon entre autres. Il nous semble que l’État devrait considérer cette épidémie comme une urgence sanitaire, mais ce n’est manifestement pas le cas, même s’il y a des avancées au niveau des traitements, compte tenu du manque de moyen pour en comprendre l’origine précise et mieux prévenir les nouveaux cas.

Comment expliquer le déni des autorités régionales de santé qui ne semblent pas avoir pris la mesure du phénomène ?

Il y a un enjeu majeur autour de l’amélioration de la connaissance du nombre réel de cas, mais aussi de la compréhension et l’identification des origines pour mieux les prévenir, que ce soit sur Sainte-Pazanne et sa région ou à l’échelle nationale. De fait, les lenteurs institutionnelles à apporter des réponses adaptées interrogent et les personnes concernées souhaitent des mesures exceptionnelles pour limiter les retards en matière de prévention des cancers et le défaut de mise en protection des enfants. Il faut améliorer le recueil de données pour avoir un système d’alerte plus performant, en faisant en sorte que les registres des cancers existants soient à jour et couvrent tout le territoire national. Les familles demandent une mise à jour et un accès à ces registres, mais sans grand succès pour l’instant. Elles espèrent aussi que les institutions sanitaires puissent remettre en question leurs méthodes d’analyses, que ce soit dans l’établissement épidémiologique des clusters, comme des enquêtes environnementales pour comprendre les causes de ces cancers au niveau des territoires, ce qu’elles ne sont pas capables de faire aujourd’hui.

« L’incidence de l’épidémie progresse à bas bruit, sans que l’on sache vraiment pourquoi »

Un insecticide, le lindane, est pointé du doigt, mais sans certitude, les pratiques des industriels et des agriculteurs sont-elles couvertes par les pouvoirs publics et les politiques ?

On ne peut rien affirmer. Il y a de fait plusieurs causes possibles, avec un effet cumulatif probable, ce qu’on appelle « l’effet cocktail ». Dans le secteur de Sainte-Pazanne et ses environs, on retrouve sur certains lieux du lindane, du radon, du dieldrine, qui sont classés « cancérogènes avérés ou probables pour l’humain » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Mais il y a aussi des câblages de haute tension, des postes de transformation électrique pour des parcs éoliens et des épandages de pesticides dans cette zone d’agriculture maraîchère et viticole intensive. C’est peut-être le cumul d’un ou plusieurs facteurs qui ont pu générer ces maladies, mais on n’a pas aujourd’hui les recherches adéquates pour mieux comprendre.

Vous racontez le combat exemplaire des parents pour avoir une explication à la maladie de leurs enfants, pensez-vous que la vérité sera faite un jour ?

Les parents et les proches veulent surtout comprendre ce qui s’est passé. Ils ont monté le collectif Stop aux Cancers de nos Enfants. Après plusieurs mois de travail, ils ont mis en place une task-force en s’entourant d’experts en toxicologie, en sociologie de la santé et d’un avocat afin d’initier les enquêtes environnementales pour comprendre l’origine de ces cancers et faire en sorte que d’autres enfants ne tombent pas malades. Ce sont des citoyens devenus des parents experts, acteurs originaux du maillage sanitaire à l’échelle de leur région à même de bouger les institutions. Grâce à leur travail acharné, ils sont à l’origine de l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale de Loire-Atlantique qui est une structure originale car elle met autour de la table des élus, des citoyens, des chercheurs, des pollueurs afin de lancer des recherches spécialement dédiées aux problèmes de santé publique qui les touchent. Grâce à ces futurs travaux, ils espèrent mieux comprendre ce qui s’est passé. C’est l’expression d’une démocratie sanitaire active qui est très touchante, face à une épidémie de cancers pédiatriques qui relève d’une urgence de santé publique et face à laquelle on attend davantage de la puissance publique.

Votre film peut-il relancer le débat sur l’usage des pesticides alors que la France vient de reculer sur le glyphosate qui est encore utilisable dans nos champs ?

Ce film c’est d’abord un hommage aux familles, aux enfants, à leurs proches, aux chercheurs aussi souvent bénévoles, tous mobilisés contre ce mal que sont les cancers pédiatriques. C’est l’histoire de leur combat contre l’inertie des institutions, contre des pratiques industrielles nocives, contre le mensonge et le mépris. J’espère qu’il sera un outil supplémentaire de communication pour défendre leur cause. À l’heure où les scientifiques estiment que les résultats de leurs recherchent ne sont pas assez pris en compte, où il y a de fait une tension entre enjeux de santé publique et enjeux économiques, où les politiques à l’échelle nationale et européenne semblent mépriser la santé environnementale, ces familles nous rappellent que l’action au niveau du territoire a encore du sens et qu’il ne faut rien lâcher.

La première diffusion du documentaire est programmée le 25 avril sur France 3 Pays de Loire. https ://vimeo.com/927463736?share=copy

LA DÉPÈCHE – l’article  ici

« Sa tumeur au cerveau a disparu » : Lucas, 13 ans, a guéri d’un cancer jugé incurable

« Sa tumeur au cerveau a disparu » : Lucas, 13 ans, a guéri d’un cancer jugé incurable

Diagnostiqué à l’âge de 6 ans, le jeune Belge a suivi un essai prometteur dans un centre de la région parisienne. Après plusieurs années de traitement, son docteur vient de lui annoncer sa guérison.

« Sa tumeur a complètement disparu. On le considère guéri ! » Le docteur Jacques Grill, médecin chercheur au centre de lutte contre le cancer Gustave Roussy de Villejuif (Val-de-Marne), a fait face à un cas unique en son genre. En janvier, il a annoncé sa guérison à Lucas, jeune patient de 13 ans atteint d’un cancer pourtant jugé « incurable ».

Une première ? « Au niveau mondial, je ne peux pas l’affirmer de façon catégorique, tempère le responsable du programme Tumeurs cérébrales mené par l’Institut francilien. Avant, les méthodes de diagnostic laissaient une marge d’erreur. Si des patients guérissaient, on se disait qu’on avait dû se tromper dans l’examen. Désormais, on se sert d’une biopsie, un examen beaucoup plus fiable. Et depuis cela, oui c’est une première. »

 Un cancer rare et redoutable

Une victoire face à un ennemi au nom redoutable : le gliome infiltrant du tronc cérébral. Un cancer rare, qui touche une cinquantaine d’enfants et adolescents chaque année. « Le taux de survie à deux ans ne dépasse pas les 5 %, concède le médecin. La tumeur se situe dans une zone fragile et profonde du cerveau, le pont, responsable de fonctions vitales comme la respiration, l’équilibre. Tout acte chirurgical entraînerait des pertes de fonctions neurologiques.»

Pour Lucas, qui vit avec ses parents et sa sœur dans la périphérie de Bruxelles (Belgique), le diagnostic est tombé à l’âge de 6 ans. « Au début, il avait quelques problèmes pour faire pipi. On ne s’est pas trop inquiétés, on pensait que ce n’était pas grave, se rappelle Cédric, son papa, qui travaille dans l’informatique pour la défense belge (1). Et puis, il a commencé à tituber, il était fatigué, avait mal à la tête… »

L’enfant passe une IRM de contrôle. Le résultat est sans appel. « On est abattus, parce qu’on connaît déjà les statistiques à propos de cette maladie… » Son issue est alors fatale, souvent dans les neuf à douze mois suivant sa découverte.

Un essai, un espoir

Sous l’impulsion du Dr Jacques Grill, un essai clinique a été mis en place. Il est proposé aux enfants atteints de cette tumeur. Biomède, l’essai en question allie un médicament, l’évérolimus, choisi pour soigner certains cancers et tumeurs au cerveau, à ces séances de radiothérapie. « Normalement, on se contente de la radiothérapie. Mais, seule, elle n’offre pas de chance de guérison à long terme. Elle ne fait que calmer les symptômes et en général, la maladie revient au bout de six mois », déplore le chercheur.

« On nous l’a directement proposé. C’était notre seule option, donc on l’a acceptée», raconte Cédric. Six semaines plus tard, « gonflé à la cortisone » pour masquer les symptômes et diminuer l’inflammation, Lucas peut enfin débuter l’essai.

La radiothérapie s’étale sur trente sessions. La prise du traitement, elle, va durer cinq ans. Un bouleversement pour le quotidien de la famille. « On a pris des congés pour être avec Lucas à Paris. Pendant les deux premiers mois, sa maman restait avec lui et je faisais les allers-retours depuis Bruxelles chaque week-end. » Puis Lucas a retrouvé un semblant de vie normale et a repris le chemin de l’école, « avec son bobo à la tête », qu’il avait dû quitter pendant plusieurs mois.

« Je ne suis pas sûr qu’il était conscient de la situation, souligne le papa. À 6 ans, on ne lui a pas fait un cours de statistiques médicales. Tant que ça allait pour lui, que l’on traitait les symptômes, ça ne lui semblait pas si différent. »

« On a vu la tumeur disparaître »

Au fur et à mesure que la fréquence des visites à Paris s’allonge, un mois d’abord, puis deux et ainsi de suite, l’état de Lucas semble se stabiliser, voire s’améliorer. « La tumeur avait diminué avec le traitement. Au fil des IRM, nous l’avons vue disparaître petit à petit. »

Les motifs d’espoir s’enchaînent. Au moment de rédiger une nouvelle ordonnance, le docteur se rend compte que Lucas, devenu ado, a cessé de prendre son traitement: « Il lui restait des médicaments en réserve, alors que je lui prescrivais la dose exacte. » Il propose au jeune patient d’arrêter définitivement la prise médicamenteuse.

La maladie reste stable, jusqu’à ce jour de janvier où l’on explique à Lucas, désormais âgé de 13 ans, qu’il est officiellement guéri. « Après cinq ans, on ne voyait déjà plus que la cicatrice de sa biopsie, sa maladie avait disparu. Il fallait sauter le pas. »

Avancée scientifique majeure ou cas unique ? Le docteur reste mesuré. « Très peu de patients sont dans le même cas. Lucas avait des cellules tumorales dont la mutation les rendait très sensibles au traitement. Il faudrait réussir à mettre les cellules des autres enfants dans la même situation. Le chemin sera encore long. »

La famille de Lucas peut enfin « prévoir à nouveau des vacances », confie, soulagé, Cédric. Et pour l’avenir ? L’adolescent « se verrait bien youtubeur ! »

 (1) Le père de Lucas n’a pas souhaité donner son nom.

OUEST FRANCE – l’article  ici

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