Depuis ses 6 ans, l’enfant bataillait contre un cancer du cerveau incurable. Aujourd’hui, la tumeur n’est plus là. 
De quoi susciter un fol espoir pour les malades comme pour la science.

Lucas se rappelle d’un passage secret qu’il affectionnait, via ce petit jardin qui mène directement de l’institut Gustave-Roussy à la « maison des parents ». Il se souvient également de l’équipe médicale attentionnée. Et de cette « machine à bruits » dans laquelle il a appris à rester immobile tout petit, à 6 ans. Cette IRM, il l’aimait moins… Il sourit, change de sujet, virevolte autour du sapin qu’il ­s’apprête à décorer et accroche quelques guirlandes à son cou avant d’exploser de rire. Plus de questions. Lucas est un garçon de 12 ans, si lumineux qu’il embarque avec lui tout son monde.

Un gamin tourbillonnant de vie, normal, à une exception près : il est un cas unique pour la communauté scientifique. Lucas est le premier enfant au monde à avoir probablement vaincu un cancer du cerveau réputé incurable : le gliome infiltrant du tronc cérébral. Une maladie orpheline, sans traitement, le plus grand défi de la recherche oncologique pédiatrique, puisqu’elle touche principalement de très jeunes enfants dont l’espérance de vie médiane après diagnostic est bien sombre : environ onze mois.

Son histoire relève du miracle, mais elle offre surtout un incroyable espoir à la recherche. Le 27 décembre, Lucas fêtera un double anniversaire sur les pistes de ski. Ses 13 ans et l’arrêt depuis un an de l’évérolimus, son médicament quotidien depuis cinq ans. À cela aussi, Lucas ne veut plus penser. « Il sait bien ce qui lui arrive, il sait qu’il a eu de la chance, mais ce n’est pas comme pour un prix ou une compétition qu’il aurait gagnée. À l’école, les professeurs ont essayé de lui en parler, mais il a refusé. Un préado ne se fait pas de la pub avec ça ! » lâche Cédric, son père. « Quand la maladie s’est déclarée, nous avons dû tout ­annuler »

Pour la première fois, Cédric et Olesja ont osé réserver leurs vacances de Noël avec Lucas et Tatiana, leurs deux enfants, « un peu » en avance. « Quand la maladie s’est déclarée, en juillet 2017, nous avons dû tout ­annuler. Dès lors, c’était fini. Impossible d’anticiper quoi que ce soit, pendant ces six années. On ne faisait plus de plans », ajoute Olesja.

C’est en vacances chez ses grands-­parents, aux Pays-Bas, que le petit garçon commence à éprouver des pertes d’équilibre. L’IRM révèle la présence d’une boule dans son cerveau. Au centre hospitalier Saint-Luc, à Bruxelles, où il est d’abord pris en charge, une ­neuropsychiatre l’oriente vers l’institut Gustave-Roussy, à Villejuif, dans le Val-de-Marne, où un essai clinique ­inédit, piloté par le Dr Jacques Grill, a lieu depuis 2014.

Destiné aux enfants atteints d’un gliome infiltrant du tronc cérébral, il propose une thérapie ciblée en fonction des différentes anomalies détectées dans chaque tumeur. « À Bruxelles, on nous a simplement dit que le diagnostic était compliqué. Ils prononçaient les mots gliome infiltrant, mais ça n’était pas très clair. Ils nous ont donné de la cortisone pour réduire l’inflammation. À ce moment-là, personne ne nous a parlé de la faible espérance de vie. On l’a compris un peu plus tard. Mais en tant que parents, c’est de toute manière impossible de ­s’attarder sur les terribles statistiques de survie, sinon on ­s’effondre », explique Cédric.

Pour la famille, cet été-là, c’est comme si le temps, tout en devenant plus dense, s’étirait indéfiniment. Il y a Lucas, qu’il faut couver, ­rassurer ; la grande sœur, encore très jeune, à qui l’on doit aussi expliquer la maladie, la paperasse, le formulaire S2, qui permet à une personne assurée dans un pays de l’Union européenne de recevoir un traitement ­médical dans un autre pays car, Lucas étant belge, il faut ­prouver qu’aucune autre thérapie n’est possible ­ailleurs qu’à Gustave-Roussy. Ce qui prend un certain temps.

En attendant, il y a les nuits blanches pour Cédric, qui n’arrête pas de faire des recherches sur Internet. Un soir, il tombe sur la page Facebook de parents d’enfants atteints du même mal que Cédric. Certains racontent qu’un traitement prétendument miraculeux existe dans une clinique de Monterrey, au Mexique. Chaque phase coûte entre 20 000 et 30 000 dollars, et les cycles sont répétés toutes les quatre semaines. Dans l’espoir de ­sauver leur enfant, certains mettent en vente leur maison.

« On hésitait. On a réussi à avoir quelqu’un au téléphone, il se présentait comme un médecin. Ça ne rentrait dans aucun cadre. On a compris qu’il était prêt à essayer tout et n’importe quoi. Il avait soi-disant accès à toutes les molécules sans approbation de la FDA, la Food and Drug Admnistration. Les résultats antérieurs n’étaient pas publiés. On devait ­accepter un “cocktail magique” sans trop se poser de questions. C’était foireux », se souvient Cédric, comme désolé d’y avoir seulement pensé.

Ladite clinique aurait mis la clé sous la porte durant la pandémie, mais d’autres continuent de proposer leurs services ­alternatifs aux familles en détresse. Cédric et Olesja ont heureusement fait le choix de conduire leur fils vers le traitement expérimental encadré de Gustave-Roussy.

Alors, direction « Biomede 1 », du nom de l’essai, avec une équipe aux petits soins. Lucas doit passer le préambule de la ­biopsie. « Pour deux raisons. D’abord pour ­prouver la nature de la tumeur, parce qu’avec une simple radio on se trompe une fois sur dix. L’objectif est de traiter uniquement des patients avec ce gliome. Deuxième raison, pour pouvoir faire des analyses plus précises, donc séquencer tout l’ADN de la tumeur. Ce qui, pour cette ­maladie, n’avait jamais été pratiqué auparavant dans le monde », explique le médecin chercheur Jacques Grill, qui va désormais suivre l’enfant comme il suit près de 250 enfants et une ­poignée de jeunes adultes.

 « Lucas a eu une évolution inédite dans l’histoire de la science »

Le traitement combine une série de trente radiothérapies avec la prise quotidienne, dans le cas de Lucas, de l’évérolimus. À chaque IRM destinée à ­surveiller la progression de la tumeur, Cédric et Olesja retiennent leur souffle. Et, à chaque ­rendez-vous, le résultat est un peu plus étonnant… voire spectaculaire. Non seulement l’enfant se stabilise, mais la tumeur disparaît doucement.

Tout le monde reste prudent. Le mot « guérison » n’existe pas lorsqu’on parle de la ­maladie du gliome infiltrant du tronc cérébral. Parce qu’elle ne s’est jamais produite auparavant. « Lucas a eu une évolution inédite dans l’histoire de la science, précise le Dr Grill. Sur 250 patients suivis dans ce protocole, seulement une petite dizaine n’est pas morte. C’est très peu. Il y a huit “longs survivants”. Mais Lucas est différent : chez lui la maladie a disparu. Ce qu’on appelle un phénotype extrême. Je n’avais jamais vu ça. Pour cette tumeur, l’espérance de vie médiane est de onze mois. La moitié des enfants meurent avant. C’est pour nous la pire des maladies en cancérologie. »

Désormais, le check-up n’a lieu que tous les six mois. Mais tout le monde reste prudent : le mot «guérison» n’existe pas encore pour ce gliome malin

La tumeur de Lucas a en réalité développé une anomalie extrêmement rare qui aurait permis la bonne réponse au traitement. Au labo de Gustave-Roussy, l’équipe s’active avec l’espoir immense de reproduire cette anomalie (mutation), de la tester in vitro sur les cellules d’un autre enfant puis de vérifier que la tumeur ne pousse plus, et ainsi de développer dans le futur un médicament capable de reproduire le même mécanisme. « La tumeur de Lucas est une “machine à apprendre”. On s’est rendu compte qu’avec la même maladie les tumeurs étaient différentes. L’idée, c’est de ne pas avoir un traitement, mais plusieurs, en fonction de tel ou tel type de gliome », note le pédiatre neuro-oncologue.

Dans le même temps, des analyses ont été faites sur d’autres petits survivants, avec des pistes de médicaments déjà identifiés. Mais Lucas représente le cas le plus intéressant, dans la mesure où sa mutation s’accompagne d’une disparition de la tumeur.

Les parents espèrent que le cas de leur fils fera avancer la science

Aujourd’hui, à Gustave-Roussy, tous mettent les bouchées doubles avec une seconde phase de tests nommée « Biomede 2 ». Pour 360 petits patients, l’évérolimus est comparé à un nouveau médicament, l’ONC201, développé par une start-up américaine. « Avant et même encore maintenant, lorsque le diagnostic du gliome malin tombe, certains médecins disent aux parents : “Votre enfant va mourir dans l’année, profitez-en, créez-vous des souvenirs. Allez à Tahiti.” Grâce à cette recherche, les choix thérapeutiques vont s’élargir et le discours pourrait changer radicalement », conclut Jacques Grill.

Cédric et Olesja ne savent pas quoi répondre aux quelques parents qui leur demandent quel régime suit leur enfant, quelle est sa particularité ? Ils espèrent simplement que son cas fera avancer la science. Pour Lucas, les examens se sont désormais espacés. Le check-up n’a lieu que tous les six mois.

Mais, pour Cédric et Olesja, il engendre toujours le même stress. Alors, ils ont décidé de ne plus regarder aucune imagerie et de s’en remettre au Dr Grill. Ils peuvent prendre exemple sur leur « long survivant », comme tempère encore la science, celui qui pourrait bientôt sauver des milliers d’autres enfants : il leur suffit de le regarder faire le clown devant le sapin de Noël. Insouciant, enfin.

 

PARIS MATCH – l’article  ici

Image Pixabay

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